Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas

J’ai plongé dans la lecture du dernier ouvrage de Florence Aubenas, « le quai de Ouistreham », qui d’ailleurs connait un très gros succès depuis sa sortie.

J’ai accroché tout de suite avec le récit. Pourquoi ? Certainement parce que Florence Aubenas écrit les événements sans fard, à l’image d’ailleurs de ce qu’elle a vécu au cours de ces 6 mois. Une immersion complète dans l’épreuve que constitue la recherche d’emploi d’une femme de 48 ans, sans qualification et sans expérience professionnelle, à Caen. Caen, capitale régionale du Calvados, plus de 110 000 habitants. Et oui ! Mais voilà, Caen est devenue une ville sinistrée depuis que l’industrie s’est effondrée et a licencié en masse. Il n’y a plus d’espérance à Caen… sauf pour le secteur du nettoyage.

Florence Aubenas décrit le monde impitoyable du chômage, celui de pôle emploi qui ne propose rien et désespère toutes les bonnes volontés, et pourtant om nubilé par les nouvelles directives d’en haut, axées sur la culture du résultat…  La journaliste ne ménage pas le lecteur, elle ne s’étend pas sur ses sentiments, à l’image de ses compagnons de route, elle tente de vivre, ou plutôt de survivre, avec quelques heures de ménage par semaine, payées en dessous du taux horaire du smic, très tôt le matin, très tard le soir, et le week end. Des horaires effroyables pour tout salarié dans la norme !

Elle découvre un monde où la solidarité n’est pas un vain mot : on lui prête un véhicule qu’elle baptise « Tracteur » pour parcourir des dizaines de kilomètres qui la séparent d’un point à l’autre d’un lieu de travail où elle effectue les heures de ménage, on lui file un coup de main pour changer un pneu crevé. Elle décrit aussi le machisme qui règne dans le métier du nettoyage : ce sont toujours les femmes qui nettoient les sanitaires ! Et une « punition » ou « rétrogradation » pour les hommes qui ne font pas bien leur job de « femme de ménage » de devoir se coltiner les sanitaires !

Tout ceci est plein de désespérance en fait, quand on y pense objectivement, mais pourtant, j’ai avalé le livre avec intérêt car il est un instant de la société d’aujourd’hui, une photographie d’une certaine classe sociale qu’on ne voit pas beaucoup, qui ne crie pas beaucoup (surtout dans la rue), et qui pense même que la crise est une invention. Pourquoi pas, après tout ?

Ce journalisme d’immersion a été critiqué par certains, plébiscité par d’autres, mais quoiqu’on en pense, ce récit ne laissera personne indemne.

A offrir en cadeau de lecture à nos politiques.

3 commentaires

  1. Ce qui me gêne c’est que ce « roman-reportage » montre des demandeurs d’emploi, des employés précaires non révoltés, intellectuellement peu rebelles, non pas vraiment résignés sinon par la force des choses, mais presque dans l’acceptation ,sans plaintes ni reproches d’ordre sociétal ou politique, sans mise en question de leur condition, sans la conscience des précaires de « Germinal  » par exemple qui luttent et se battent, argumentent.
    Seuls des employés du pôle emploi, au stade ou j’en suis de ma lecture(p 129)font grève ou vont jusqu’au suicide. Cette situation qui touche de près ou de plus loin tout le monde est vue d’un point de vue très restreint, flippant parce que c’est la réalité mais sans espoir. Je ne le conseillerai pas à mes deux fils pourtant dans des situations de chômage et de pointage au pôle emploi parce que ce constat est juste bon pour ceux qui ne connaissent pas la situation. il n’apporte rien. Dommage!

  2. Bonjour smutek et bienvenue sur ce blog,
    dans Germinal il y a la dimension politique, mais c’est surtout l’auteur qui l’a introduit ! C’est le début d’une prise de conscience de classe qui est mis en exergue dans ce roman. Où est la part de romance et de vérité dans Germinal ?
    Ici, avec le livre de Florence Aubenas, on reste sur le témoignage, le vécu, jeté à la figure, c’est assez violent, oui, si on y réfléchit bien et c’est justement ce qu’a voulu « dénoncer » ou témoigner cette journaliste. Pour ma part, je ne pense pas que ce livre soit inutile. Je vis dans le nord, et tout le monde sait qu’avec la Creuse (!), c’est la région de France qui connaît le taux de chômage le plus élevé, la paupérisation la plus aigüe, le taux de formation le plus faible. Ce qui est décrit est malheureusement une réalité qu’on croise tous les jours, ou qu’on vit tous les jours, selon le côté de la barrière où l’on se situe.

  3. Merci de votre réponse

    Je suis d’accord avec vous sur l’utilité de ce témoignage et sur sa violence qui ne laisse pas indifférent ( la preuve).
    Je lis dans l’époque que nous vivons et à travers ce livre, l’état dépressif d’une population livrée à une fatalité qui la dépasse, objets et non plus sujets, sans destin. C’est la réussite pour moi du « quai
    de Ouistréhan  » avec cette pathétique victoire:la conquête d’un CDI au bout de six mois d’un travail mal payé et difficilement soutenable.
    Un livre qui appelle à la révolte …

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